On ne sait pas pourquoi il n'y a plus d'antimatière dans le cosmos observable alors que le modèle standard en physique des particules et en cosmologie nous affirme qu'autant de matière que d'antimatière devaient alors avoir été produites. Pour résoudre cette énigme, on étudie la violation CP avec certaines particules au Cern, via l'expérience LHCb.


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    Lorsqu'il a découvert sa version relativiste de l'équation de Schrödinger pour l'électron en 1928, le physicienphysicien Paul DiracPaul Dirac ne s'attendait pas à ce qu'elle le conduise à prédire l'existence de l'antimatière. Parlant d'elle comme « plus intelligente que lui », Dirac ne s'attendait pas non plus à ce que l'équation portant désormais son nom lui donne automatiquement le spin et le moment magnétique de ce constituant fondamental des atomes.

    Démontrée expérimentalement quelques années plus tard seulement en étudiant les rayons cosmiquesrayons cosmiques, l'existence des antiparticulesantiparticules allait rendre particulièrement perplexes les physiciens et les cosmologistes, notamment après l'accréditation de la théorie du Big BangBig Bang de Lemaître et Gamow suite à la découverte du fameux rayonnement fossilerayonnement fossile en 1965. En effet, elle poussait à conclure qu'autant de matièrematière que d'antimatière devaient exister au début de l'histoire de l'UniversUnivers observable. Or, particules et antiparticules auraient dû s'annihiler elles-mêmes quand la température du cosmoscosmos a baissé, ne laissant qu'un bain de photonsphotons. Où était donc bien passée l'antimatière ?

    Dès 1966, le physicien russe Andreï Sakharov avait alors proposé un début de réponse à cette question avec ce que l'on appelle maintenant les trois conditions de Sakharov. L'une d'elle suppose une violation de la symétrie CPviolation de la symétrie CP en physiquephysique des particules. On connaissait d'ailleurs l'existence de cette violation dans certains cas, en l'occurrence les mésonsmésons K, dès 1964, grâce aux travaux de James Cronin et Val Fitch, qui leur valurent le prix Nobel de physique. Mais de quoi s'agit-il vraiment ?


    Un document exceptionnel datant de 1982. Paul M. Dirac s'adressant à F. Hund dissertant sur la notion de symétrie en relativité, mécanique quantique et physique des particules élémentaires. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © nerdcoke

    Les particules et la symétrie CP

    En physique, tout comme en mathématique, les opérations de symétrie dans les équations jouent un rôle important pour définir ces équations et les lois de conservation qu'elles impliquent. L'équation de Dirac, qui permet d'associer à toute particule son antiparticule, permet alors de définir une opération dite de conjugaison de charge. Notée C, elle transforme une solution de l'équation décrivant une particule de charge Q en une solution décrivant une antiparticule de charge opposée - Q. On peut de même définir une opération notée P, pour parité, qui permet de voir ce qui se passe pour un phénomène, une expérience, transposés par un miroirmiroir. Ainsi, le courant dans une boucle conductrice change de sens lorsque l'on regarde une boucle qui serait en miroir.

    On peut considérer des expériences et des phénomènes qui seraient liés par l'applicationapplication de ces deux opérations, par exemple une expérience associée par symétrie CP à un courant d'électrons dans une boucle devient un courant de positronspositrons dans une boucle en sens inverse ou une particule comme un méson pipi négatif qui se désintègre en donnant un muonmuon, le cousin lourd de l'électron a pour correspondant un méson pi positif qui se désintègre en donnant un antimuon positivement chargé. Une violation de la symétrie CP serait par exemple un taux de désintégration des deux mésons qui ne serait pas le même.

    Depuis 1964 et l'essor du modèle standardmodèle standard avec la découverte des quarks, des équations de la chromodynamique quantique décrivant les forces nucléaires entre ces quarksquarks (et qui permettent de décrire le zoo des hadronshadrons composés de ces quarks qui sont aussi sensibles à la force électrofaible qui les lie aussi aux leptonsleptons comme les électrons et les neutrinosneutrinos), on a identifié plusieurs effets de la violation CP dans le monde des particules élémentairesparticules élémentaires connues.


    L'expérience LHCb et l'énigme de l'asymétrie matière-antimatière. Pour voir les sous-titres en français, cliquer sur CC dans la barre en bas de la vidéo. © CernTV-YouTube

    LHCb, une fenêtre sur une nouvelle physique ?

    Toutefois, le schéma théorique qui décrit cette violation dans le modèle standard n'est pas complètement fixé par lui et surtout tous les effets prédits sont encore en cours d'exploration. On sait aussi a priori, et pour le moment expérimentalement aussi, que les effets de violation CP du modèle standard ne sont pas assez forts pour résoudre l'énigme de l'antimatière en cosmologiecosmologie. Mais ils peuvent l'être avec d'autres particules dans des théories prolongeant le modèle standard, d'une manière que son étude précise nous donne des renseignements sur la nouvelle physique qui serait derrière ce phénomène.

    Le détecteur LHCb au CernCern a été spécialement conçu pour chasser les effets de violation de symétrie CP. Le Cern vient de faire savoir, à l'occasion des célèbres Rencontres de Moriond, qui comme chaque mois de mars depuis 2004 se tiennent à La Thuile dans la vallée d'Aoste, en Italie, que les physiciens avaient obtenu un nouveau résultat intéressant à cet égard.

    Rappelons que les Rencontres de Moriond, héritières de celles organisées dans les Alpes françaises à partir de 1966 par Jean Trân Thanh Vân, un physicien d'origine vietnamienne, permettent de faire le point sur les recherches en cours sur la physique des hautes énergiesénergies et en cosmologie. Le but initial de ces rencontres, qui ne devaient être ni vraiment des conférences ni vraiment un colloque, était que des expérimentateurs et théoriciens de toutes conditions puissent discuter sur un pied d'égalité, dans un environnement éloigné de leur laboratoire et de leurs problèmes quotidiens.

    La collaboration LHCb fait donc savoir que pour la première fois une asymétrie entre matière et antimatière a été solidement observée et établie (le fameux seuil des 5 sigma a été franchi) avec le méson D0 et son antiparticule. On se doutait de l'existence de cette violation en se basant sur les travaux des prix Nobel de physique japonais Makoto Kobayashi et Toshihide Maskawa sur les quarks, prolongeant ceux du physicien italien Nicola Cabibbo.

    Le principe de la découverte d'une violation de la symétrie CP avec des mésons D neutres et leurs antiparticules (avec une barre sur ce dessin). Ils peuvent se désintégrer en paires de mésons K chargés mais aussi de mésons pi chargés. Les deux réactions devraient se produire avec les mêmes taux par symérie CP. Ce n'est pas le cas. © Cern
    Le principe de la découverte d'une violation de la symétrie CP avec des mésons D neutres et leurs antiparticules (avec une barre sur ce dessin). Ils peuvent se désintégrer en paires de mésons K chargés mais aussi de mésons pi chargés. Les deux réactions devraient se produire avec les mêmes taux par symérie CP. Ce n'est pas le cas. © Cern

    Des mésons neutres avec des quarks charmés

    La violation CP, observée en 1964, venait de la présence d'au moins un quark dit étrange (noté s pour strange en anglais) dans les kaons, celles observées et étudiées plus tard dans les mésons Bmésons B avec LHCb notamment vient du fait que ces mésons contiennent au moins un quark dit beau (noté b pour beauty en anglais ou encore bottom)). La présence d'un quark charmé (noté c pour charme) dans les mésons D0 devait pouvoir conduire à une violation CP.

    C'est bien le cas mais l'effet est si faible que les physiciens ont dû passer de longues années, de 2011 à 2018, pour accumuler suffisamment de statistiques comme ils disent dans leur jargon, c'est-à-dire de cas de production puis désintégration de mésons D0mésons D0 neutres et de leurs antiparticules, pour comparer les taux de désintégration et montrer qu'ils ne sont pas les mêmes par conjugaison CP.

    Répétons-le, l'effet observé est insuffisant pour résoudre l'énigme de l'antimatière bien qu'il nous donne un élément de plus pour atteindre cette résolutionrésolution. Mais comme l'explique Eckard Elsen, directeur de la recherche et de l'informatique au Cern : « Ce résultat est un jalon dans l'histoire de la physique des particules. Depuis la découverte du méson D, il y a plus de 40 ans, les physiciens des particules pressentaient que la violation de CP avait lieu également dans ce système, mais ce n'est que maintenant, en utilisant la quasi-totalité des données collectées par l'expérience, que la collaboration LHCb a enfin pu observer cet effet. »


    LHC : peut-être de la nouvelle physique grâce au détecteur LHCb...

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 15/11/2011

    LHCb est l'un des quatre grands détecteurs du LHCLHC, conçu pour traquer la violation CP dans les mésons B, avec l'espoir d'y trouver des indices d'une nouvelle physique permettant de comprendre l'énigme de l'antimatière cosmologique. Il vient peut-être d'en découvrir avec des mésons charmés...

    Jusqu'à présent, les résultats obtenus avec les collisions de protons au LHC sont particulièrement décevants. Toujours aucune trace des particules supersymétriques, de minitrous noirs en train de s'évaporer et il devient hautement probable maintenant que nous n'en verrons pas. Le boson de Higgsboson de Higgs ne pointe toujours pas le bout de son neznez dans des détecteurs comme Atlas ou CMSCMS, mais ce n'est en revanche guère surprenant car on pouvait s'attendre à ce qu'il soit difficile à détecter. 

    Certes, ces résultats négatifs sont en soi une information précieuse car ils indiquent ce que la structure physique du monde n'est pas. Mais si des signes d'une physique basée sur des dimensions spatiales supplémentaires ou de la supersymétriesupersymétrie étaient apparus, cela aurait été comme la découverte de l'Amérique. Un nouveau monde avec une flore et une faunefaune d'une grande richesse se serait ouvert à nous. Pour le moment, on ne voit malheureusement que de la physique vieille de quarante ans au moins et tout se passe comme si l'on découvrait certes de nouveaux territoires mais qui seraient, plutôt que la jungle du Yucatan, la banquisebanquise arctiquearctique...

    Peut-être pas complètement si l'on en croit une annonce présentée comme très préliminaire par un des membres de la collaboration LHCb lors d'un séminaire du Hadron Collider Physics Symposium 2011 (HCP) qui se tient en ce moment à Paris.

    Cette grande conférence est l'occasion de faire le point sur la physique des collisions de protonsprotons au LHC ainsi que sur les derniers résultats des collisions de protons et d'antiprotonsantiprotons au Tevatron avant sa fermeture définitive. On en attend par exemple la présentation des recherches combinées du LHC et du Tevatron concernant la massemasse du boson de Higgs qui semble bel et bien plus légère que 140 GeVGeV environ comme beaucoup le pensaient.

    Mais qu’a mesuré LHCb ? 

    Rappelons tout d'abord que ce détecteur a principalement été conçu pour étudier les désintégrations des mésons B, des hadrons contenant au moins un quark « beau » ou son antiquark. Ces particules constituent une des plus remarquables opportunités que l'univers met à notre disposition pour étudier la violation de la symétrie CP découverte par le prix Nobel James Cronin en 1964 avec son collègue Val Fitch. La violation CP est un ingrédient fondamental de presque tous les scénarios tentant de résoudre l'énigme de l'antimatière cosmologique.

    Si l'ampleur de la violation CP accessible aux énergies du LHC est insuffisante pour expliquer pourquoi l'univers observable contient presque exclusivement de la matière et seulement transitoirement d'infimes quantités d'antimatière créées dans des processus astrophysiquesastrophysiques, on peut espérer avoir des informations sur celle qui a dû se produire à plus hautes énergies.

    Le charme contre la beauté

    Le modèle standard contient en lui-même la possibilité de cette violation CP et permet même d'en rendre compte en partie. Ainsi, la QCD, la chromodynamique quantiquechromodynamique quantique, prédit une très faible violation CP avec des mésons contenant non pas un quark b mais un quark cquark c dit « charmé ». Les membres de la collaboration LHCb peuvent aussi étudier la désintégration des mésons D qui sont l'équivalent des mésons B mais avec ces quarks c.

    La surprise est venue de la découverte que ces mésons D semblent se désintégrer parfois en violant la symétrie CP de façon bien plus importante que celle prédite par le modèle standard. Dans le jargon des physiciens, l'écart entre les mesures et les prédictions est de 3,4 sigma, ce qui veut dire deux choses : on peut croire qu'il ne s'agit pas d'une fluctuation statistique dans le signal enregistré par la chaîne de mesure des appareils du détecteur, et on n'a pas encore découvert de la nouvelle physique.

    Le calcul de la violation CP avec des mésons D est délicat et il pourrait s'agir d'une simple erreur à ce niveau-là. Les théoriciens sont perplexes car si la physique des mésons B avec violation CP a été intensément explorée dans le cadre de théories au-delà du modèle standard, il ne semble pas exister beaucoup d'interprétations possibles du même type avec les mésons D qui seraient susceptibles d'expliquer le phénomène observé... si celui-ci est réel bien évidemment.

    Difficile de dire ce qui va arriver dans les prochains mois mais cela ne serait malheureusement pas la première fois que des signaux au-dessus de 3 sigma se révèlent finalement être de simples fluctuations statistiques mal interprétées.