Des projets d’urbanisation ou d’infrastructures, il y en a beaucoup. Opportunités de développement selon les uns. Non-sens au regard des enjeux auxquels fait face notre société selon les autres. Kathleen Monod, la coordonnatrice de la thématique Aménagement du territoire de l’Office français de la biodiversité (OFB), nous explique quels sont les impacts de l’artificialisation des sols sur la biodiversité et quelles sont les solutions pour aller vers de nouveaux modes d’aménagement qui concilient préservation de la biodiversité et attentes des citoyens.


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    Artificialisation. Le terme est aujourd'hui sur toutes les lèvres. Parce que de plus en plus de projets, qu'il s'agisse d'urbanisation ou de développement d'infrastructures, font débat. Il y a d'un côté, ceux qui y voient des opportunités économiques et sociales. Et de l'autre, ceux qui ne voient que l'espace soustrait à la nature. Le tout alors qu'au cœur de l'été dernier, une nouvelle loi a été votée. Elle vise à faciliter la mise en œuvre de l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols pour 2050 fixé par une autre de nos lois, la loi climat et résiliencerésilience.

    Mais au-delà de cette actualité juridique, nous nous sommes demandé ce qu'il en était vraiment. Ce qui se cache derrière ce terme. « L'artificialisation, c'est une notion très française, nous explique Kathleen Monod, la coordonnatrice de la thématique Aménagement du territoire de l'Office français de la biodiversité (OFB).  Elle correspondait à l'origine à la préoccupation d'évaluer les pertes de surface agricole au moment où l'urbanisation a commencé à s'étaler sur les terres agricoles. Puis elle s'est étendue à toute forme de consommation d'espaces qu'ils soient naturels, agricoles, ou forestiers. »

    Le saviez-vous ?

    À l’international, la notion privilégiée est celle de « land use change », littéralement changement d’usage des terres. Elle est plus englobante que la notion d’artificialisation car elle ne traite pas seulement d’urbanisation. La déforestation à des fins agricoles, c’est un changement d’usage des terres. Et dans le monde, les experts définissent le changement d’usage des sols comme la principale source de pression sur la biodiversité terrestre depuis 1970. Une récente étude du Smithonian Environmental Research Center montre ainsi que protéger les terres ralentit de cinq fois la perte de biodiversité chez les vertébrés.

    Ainsi, longtemps et encore aujourd'hui, la notion d'artificialisation des sols a renvoyé à l'idée de consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers, la consommation d'Enafs comme disent les experts. Le tout à des fins d'urbanisation. Et l'ampleur de ce processus qui s'inscrit dans le temps est suivie de près, grâce à des relevés de terrain, des images satellites ou encore aux fichiers fonciers. « Depuis 2015, la consommation d'Enafs moyenne en France est de l'ordre de 20 000 hectares par an. L'équivalent de quatre à cinq terrains de foot par heure », nous précise Kathleen Monod.

    Artificialiser, c’est porter atteinte à l’intégrité des sols

    Mais avec cette définition statistique, n'avons-nous pas oublié l'essentiel ? Car au-delà d'urbaniser ou même de changer l'usage des terres, artificialiser, c'est porter atteinte à l'intégritéintégrité des sols. Nous peinons à le voir. Pourtant l'essentiel est bel et bien là. « La loi climat et résilience l'a intégré et elle définit désormais l'artificialisation comme l'altération de tout ou partie des fonctions écologiques d'un sol, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage. »

    Pour comprendre, il faut savoir que nos sols sont incroyablement riches : ils abritent une biodiversité que nous ne soupçonnons pas. Un gramme de sol, c'est un milliard de bactériesbactéries et cent mille à un million d'espèces différentes. Grâce à cette biodiversité, les sols remplissent des fonctions aujourd'hui peut-être plus que jamais vitales de stockage du carbonecarbone, de régulation du cycle de l'eau, de production de nutrimentsnutriments. De dépollution aussi.

    Le rythme de l’artificialisation n’est pas le même selon les départements de France. © Fondation pour la Nature et l’Homme, Cerema
    Le rythme de l’artificialisation n’est pas le même selon les départements de France. © Fondation pour la Nature et l’Homme, Cerema

    Les impacts de l’artificialisation des sols sur la biodiversité

    Artificialiser les sols revient très directement à détruire les habitats de nombreuses espèces. Comme les prairies qui sont, en France, les milieux naturels les plus artificialisés avec la disparition de deux fois la superficie de Marseille depuis 1990. « Mais il y a aussi bien d'autres impacts sur la biodiversité dont il faut tenir compte », souligne l'experte de l'OFB. « Une constructionconstruction, une route, une clôture, ce sont des obstacles qui empêchent les espèces de se déplacer, de se nourrir et de se reproduire. Cette fragmentation des habitats a notamment pour conséquence un appauvrissement de la diversité génétiquegénétique des populations qui fragilise encore un peu plus les espèces. »

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    D'autres impacts de l'artificialisation sont aussi rapportés par les scientifiques. La pollution de l'eau et de l'airair. Le bruit. La lumière. Leurs effets négatifs restent parfois difficiles à quantifier, mais il ne fait aucun doute qu'ils existent. « L'artificialisation, c'est un problème pour la biodiversité dans son ensemble », assure Kathleen Monod. Et « dans son ensemble », ça nous inclut. Nous, les êtres humains. Avec l'artificialisation, le risque d'inondationinondation augmente. Parce que les eaux de pluie viennent ruisseler sur des sols imperméables qui ne peuvent plus jouer leur rôle d'éponge. Un sol recouvert de bitumebitume reflète la chaleurchaleur, amplifiant l'effet d'îlot de chaleur dans les villes. « Construire un lotissement, un entrepôt logistique ou une route sur un espace naturel, agricole ou forestier n'a rien d'anodin ; cela perturbe de manière durable les écosystèmesécosystèmes et la résilience d'un territoire. »

    Transformer nos modes d’aménagement du territoire

    « Un grand programme visant à doter tous les départements français d'un référentiel de suivi de l'occupation des sols est lancé. D'ici 2025, toutes les collectivités pourront accéder à une base de donnéesbase de données très fine qui permettra de savoir lesquels sont bâtis, imperméables, nus, herbacés, arborés ou encore recouverts d'eau et pour quel usage », nous explique Kathleen Monod. Un autre outil précieux pour évaluer la manière dont nous progressons vers les objectifs de la loi ZAN : ramener à 120 000 hectares la consommation d'Enafs entre 2021 et 2031, c'est-à-dire la diviser par deux, et atteindre en 2050 l'objectif zéro artificialisation nette. À ne pas confondre avec un objectif de zéro artificialisation brute. Comprenez qu'à l'échelle d'un territoire, tout projet d'artificialisation s'accompagnera nécessairement d'un projet de renaturation de même ampleur. « Les modèles d'aménagement du territoire vont devoir être profondément revus, remarque l'experte de la question à l'OFB. Mais des solutions existent pour concilier préservation de la biodiversité et aspirations des Français en matièrematière de logement et de cadre de vie. »

    Jusqu'ici, tout poussait en effet à l'étalement urbain. Des envies de surfaces plus grandes pour y vivre ou d'espaces extérieurs, des terres agricoles vendues à des prix défiant toute concurrence, des transactions vues par certains agriculteurs comme d'intéressants compléments de retraite, une fiscalité favorable aux constructions neuves. « Des constructions plus désirables et efficaces sont à multiplier. Il y a toute une chaîne d'acteurs de l'aménagement à mobiliser. Des collectivités, des urbanistes, des architectesarchitectes, des paysagistes n'ont pas attendu la loi Climat et Résilience. Ils ont d'ores et déjà intégré cette logique de sobriété. De telles initiatives sont mises en œuvre dans beaucoup de territoires. »

    Des solutions pour préserver la richesse de nos sols et notre biodiversité

    Construire à partir du bâti existant, c'est possible. « Dans le domaine de l'aménagement et de la construction, partir d'une page soi-disant blanche, c'est aujourd'hui moins cher et plus simple, mais sans doute faut-il (ré) apprendre à apprécier la complexité au sens premier du terme, c'est-à-dire ce qui est tissé ensemble. Parce que c'est cette complexité qui fonde des projets durables. » Un préalable incontournable : le diagnosticdiagnostic écologique et pédologique. Faire le tour de la biodiversité présente sur un site, un inventaire de la faunefaune, de la flore, des arbresarbres et des mares, et même du bâti comme les muretsmurets en pierre - ce sont de bons habitats pour les lézards -, évaluer la qualité du sol pour savoir quelle végétation pourra s'y épanouir. « Pour la biodiversité - et le reste -, ce qui compte, c'est de préserver l'existant et notamment la pleine terre et la végétation déjà sur place. » Un arbre mature, par exemple, stocke plus de carbone et est plus susceptible de pouvoir s'adapter et résister aux attaques du temps et des ravageurs. Il présente une zone d'ombrage plus importante, un enracinement plus important, un tronc plus large, plus de feuilles.

    Apprendre à faire avec l'existant

    « Aujourd'hui, les espaces non bâtis sont souvent considérés comme des espaces "vides". Alors qu'ils sont au contraire extrêmement riches pour faire face aux défis auxquels sont confrontées les collectivités. À nous de nous montrer pédagogues. La question pour les collectivités n'est plus seulement de savoir quels projets d'aménagement privilégier. Il faut aussi identifier les espaces qui sont à préserver et à restaurer pour éviter d'amplifier les phénomènes d'inondations ou d'îlots de chaleur, et surtout pour reconquérir la biodiversité. » En améliorant du même coup notre cadre de vie.

    Pour soutenir les démarches des collectivités, l'OFB - et beaucoup d'autres comme le Cerema, l'AdemeAdeme ou encore l'Agence nationale de la cohésion des territoires - développe de nombreux programmes. L'Atlas de la biodiversité communale en est un. L'idée : réaliser un inventaire des milieux et des espèces afin de cartographier les enjeux de biodiversité sur un territoire donné, tout en impliquant activement l'ensemble des acteurs (élus, citoyens, associations, entreprises, etc.)). « C'est un outil très polyvalent qui peut utilement être mobilisé pour faire évoluer un plan local d'urbanisme », estime la coordonnatrice thématique en aménagement du territoire.

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    Elle rappelle aussi qu'il existe beaucoup d'espaces déjà artificialisés qui pourraient être exploités pour répondre aux besoins de logements. C'est l'idée du recyclagerecyclage urbain, de construire la ville... sur la ville. « J'ai en tête l'exemple d'une commune de 2 000 habitants qui aident les propriétaires de logements vacants à les remettre sur le marché immobilier. Grâce à ce dispositif, un ancien hôtel-restaurant a été vendu et accueille trois logements à destination de seniors. Les bonnes idées sont là, dans les territoires », nous précise Kathleen Monod. Parmi elles aussi, la densification douce qui consiste notamment à diviser les grandes parcelles que leurs propriétaires n'arrivent plus à entretenir. « Des équipes pluridisciplinaires peuvent conseiller des particuliers pour les aider dans cette démarche et faire en sorte par exemple que le nouveau bâti ne perturbe pas trop le logement existant. Dans le territoire du SCoT des Vosges Centrales, cela fonctionne bien. » Enfin également, l'idée du micro-habitat collectif qui permet de réemployer d'anciennes bâtisses trop grandes et d'en faire quatre ou cinq appartements avec une buanderiebuanderie et un jardin partagésjardin partagés.

    Développer des villes « accueillantes » plus encore que des villes attractives. Ne serait-ce finalement pas un objectif que nous pourrions nous fixer pour préserver la biodiversité ?