Les prévisions démographiques et urbaines établies par l'ONU sont aujourd'hui largement utilisées, notamment dans l'estimation d'autres tendances globales, telles que la pauvreté, la consommation d'énergie, etc. Cependant, elles apparaissent avoir été surévaluées par le passé, en particulier pour les pays en développement. Un démographe de l'IRD propose d'utiliser un autre modèle de mesure des concentrations urbaines qui, à la différence de celui de l'ONU, suit une approche historique du développement de ces concentrations, propre à chaque pays.

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    Urbanisme vertical d'une grande ville du Brésil.© IRD/Pierre Gazin

    Urbanisme vertical d'une grande ville du Brésil.© IRD/Pierre Gazin

    D'après ce nouveau modèle, les prévisions de l'ONU à l'horizon 2030 auraient surestimé la population urbaine mondiale d'un milliard. En Afrique et en Asie, les populations pourraient ainsi rester beaucoup plus rurales que prévu, ce qui amène à revoir les politiques environnementales et les tendances démographiques envisagées à cette échéance.

    Depuis septembre 2000, date de signature de la déclaration du millénaire initiée par l'ONU, les Etats doivent oeuvrer pour réduire la pauvreté et favoriser la croissance économique mondiale dans les décennies à venir. Dans les réflexions engagées pour répondre à ces objectifs, les questions de croissance démographique et urbaine occupent une place prépondérante. L'urbanisation, qui représente un indicateur clé de la globalisation actuelle du monde, sert de plus en plus à prévoir d'autres tendances étudiées à l'échelle de la planète, telles que la pauvreté, la consommation d'énergieénergie, l'environnement et les ressources, etc.

    L'organisation des Nations Unies dispose d'une banque de données démographiques unique, qui résulte de la collecte d'une grande quantité d'informations issue de tous les pays du globe. Elle élabore et publie régulièrement des perspectives d'urbanisation mondiale qui constituent une source incontournable de données et d'analyse de ce processus. Cependant, bien que l'importance de ce travail soit unanimement reconnu, des travaux de démographesdémographes et de géographes soulèvent de nombreuses critiques à l'égard de ces projections urbaines. Celles-ci semblent avoir surestimé la croissance des villes sur la période de projection, en particulier pour les pays en voie de développement. C'est ce qu'a notamment observé en Afrique de l'Ouest Philippe Bocquier, démographe à l'IRD, qui étudie depuis 1992 les phénomènes de migration et d'urbanisation dans cette région. Selon lui, cette surestimation résulte en particulier des méthodes de calcul utilisées par l'ONU pour extrapoler les données manquantes sur le développement urbain depuis les années 1950 ou prévoir les tendances futures. Le modèle onusien, centré sur une vision occidentale du développement, suppose en effet que l'ensemble des pays du monde suive les mêmes étapes du processus d'urbanisation que les pays développés. Or, ce modèle, qui n'ajuste pas toujours bien les tendances observées dans les pays développés, amène également à surestimer la vitesse et l'ampleur du processus de concentration urbaine dans les pays du Sud. Philippe Bocquier propose donc un autre modèle de traitement des données, fondé sur l'historique du passage d'un mode de vie rural à un mode de vie urbain de chaque pays, ceux-ci effectuant la transition urbaine à leur propre rythme. L'Europe et l'Amérique du Nord ont en effet mis deux siècles pour parvenir à leur degré actuel d'urbanisation, alors que certains pays comme le Japon ou Taïwan ont atteint un niveau semblable en moins de 50 ans. Cette approche permet en outre d'évaluer le degré d'urbanisation de chaque pays en fonction des données disponibles dans chaque cas et, ainsi, de diminuer les erreurs d'estimation .

    Selon ce nouveau modèle, la proportion d'individus vivant dans des villes à l'échelle de la planète serait de 49,2% à l'horizon 2030, contre 60,8% d'après les estimations de l'ONU. Cela signifie que la population urbaine pourrait alors compter un milliard d'individus de moins que prévu. En 2030, la majorité de la population des pays en développement ne serait pas urbaine : 55,4% des individus vivraient encore en milieu rural, notamment en Afrique (à 59,5%)) et en Asie (à 59,0%). Par ailleurs, ces nouvelles estimations laissent présager que l'urbanisation pourrait atteindre son seuil de saturation plus rapidement que prévu (peu après 2030). Ce seuil théorique, qui correspond ici au maximum de la capacité urbaine d'un pays en fonction de son développement économique, est atteint lorsque la transition urbaine est achevée. Ainsi, dix grand pays en développement, représentant 18,8% de la population mondiale contribueraient à eux seuls à plus de la moitié de la croissance urbaine mondiale entre 2025 et 2030. La plupart des pays du monde auraient déjà atteint leur seuil de saturation urbaine et ne participeraient par conséquent que faiblement à la croissance urbaine mondiale après 2030.

    Alors que les projections issues du modèle proposé révèlent la persistance d'importantes inégalités de développement dans le monde à cette échéance, elles impliquent également une révision des estimations concernant les caractéristiques de la population mondiale. En effet, le mode de vie urbain étant souvent considéré comme déterminant dans la rapiditérapidité des changements démographiques, la réduction de la mortalité et de la féconditéfécondité dans les pays en voie de développement pourrait ne pas être aussi importante que prévu. Par ailleurs, ces nouvelles projections ont des conséquences non négligeables sur les politiques environnementales : dans un monde moins urbanisé, les pays développés resteraient les principaux responsables des émissionsémissions de gaz à effet de serre, l'essentiel des ressources naturelles demeurant localisé dans les régions du Sud.