La découverte d’oxydes de manganèse dans le sol du cratère Gale pose la question de la quantité d’oxygène présente dans l’atmosphère primitive de Mars. Et si celle-ci avait été plus importante qu’on ne le pensait jusqu’à présent ? Au-delà de la question de l’origine de ce dioxygène, une nouvelle étude révèle à quel point les oxydes de manganèse pourraient nous en apprendre plus sur l’habitabilité de la Planète rouge dans le passé.


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    On le sait, l'oxygène n'a pas été un ingrédient clé pour l'origine de la vie sur Terre. Durant tout le début de son histoire, et cela jusqu'à l'apparition des premiers organismes photosynthétiques, notre Planète était en effet quasiment dépourvu d’oxygène libre. Point de dioxygène dans l'atmosphèreatmosphère, alors principalement composée de dioxyde de carbonedioxyde de carbone, ni dans les océans. Une situation anoxiqueanoxique qui n'aura toutefois pas empêché la vie de se développer durant plusieurs milliards d'années, jusqu'à ce que le dioxygène, ce poison produit par la photosynthèsephotosynthèse, ne s'accumule dans les océans et l'atmosphère, forçant les organismes à s'adapter, jusqu’à ce que leur métabolisme repose sur la consommation de ce gaz.

    Sommes-nous seuls dans l'univers ? Découvrez comment, pendant quelques jours, l'Europe a cru que nous avions découvert des aliens sur la Lune. © Futura

    À l'image de la Terre primitive, Mars est ainsi aujourd’hui quasiment dénuée d’oxygène et tout portait à croire que ces conditions anoxiques n'avaient pas changé depuis la formation de la planète. Une découverte faite par le rover CuriosityCuriosity vient pourtant remettre en question cette idée.

    Beaucoup d’oxydes de manganèse dans le cratère Gale

    Le rover, qui évolue actuellement dans le cratère Gale, a en effet observé grâce à son instrument ChemCam des concentrations inhabituelles d'oxyde de manganèse (MnO) dans les anciens sédimentssédiments lacustreslacustres tapissant le fond du cratère (voir article ci-dessous). Ces minérauxminéraux noirs résultent de l'oxydation du manganèse. Or, qui dit oxydation, dit potentiellement présence d'oxygène.

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    La région qui correspond à l'ancienne ligne de rivage du lac qui occupait il y a longtemps le cratère Gale possède d'étonnantes quantités d'oxydes de manganèse, un minéral qui nécessite de l'oxygène pour se former. © Nasa, JPL-Caltech, MSSS

    Si les oxydes de manganèse sont des minéraux très fréquents à la surface de la Terre en raison des fortes concentrations actuelles de dioxygène dans l'atmosphère et de l'activité de certaines bactériesbactéries, qui aident à catalyser cette réaction d'oxydation, les chercheurs ne s'attendaient cependant pas du tout à en trouver en si grande concentration sur Mars.

    La présence de ces minéraux dans le sol martien a de suite soulevé la question de leur formation et donc, des conditions qui auraient existé sur Mars lorsque le cratère Gale était encore un lac.

    L’oxygène : unique oxydant valable dans les conditions du cratère Gale

    Les données acquises par le rover suggèrent que ces oxydes se sont certainement formés en environnements peu profonds, sur les bords du lac. La surface du lac aurait en effet été légèrement plus oxydante que les niveaux plus profonds. Les ionsions Mn2+ auraient été extraits de la croûtecroûte et transportés par la résurgence d'eaux souterraines anoxiques (sans oxygène) à travers les niveaux sableux et poreux de la ligne de rivage. La réaction d'oxydation du manganèse aurait donc eu lieu à l'interface eau-sédiments. Un scénario permettant d'expliquer la présence des oxydes de manganèse dans les grèsgrès du cratère Gale.

    Reste à comprendre quel a été l'élément oxydant. Dans l'article publié dans la revue Journal of Geophysical Research : Planets, les chercheurs passent en revue toutes les possibilités alternatives à l'oxygène : photolysephotolyse UV (qui permet la décomposition de certaines moléculesmolécules sous l'action des rayons UV du SoleilSoleil et peut ainsi produire de petites quantités d'oxygène), perchlorates, chlorates, bromates, nitrates... Aucun de ces potentiels oxydants n'est valable dans les conditions observées. Seule l'hypothèse d'une présence d'O2 dans l'atmosphère tient la route. Les scientifiques indiquent toutefois que le taux de dioxygène présent dans l'atmosphère primitive de Mars aurait dans ce cas dû être nettement plus important que l'actuel pour pouvoir mener à une oxydation du manganèse. En comparaison, les scientifiques rappellent que sur Terre, les oxydes de manganèse ne sont apparus que lorsque le taux d’oxygène a commencé à augmenter il y a 2,5 milliards d’années en réponse à l'activité des organismes photosynthétiques.

    Les impacts météoritiques, source de l’oxygène martien ?

    L'atmosphère primitive martienne aurait donc été bien plus riche en oxygène qu'on ne le pensait jusqu'à présent. Mais quelle aurait été la cause de la présence de ce gazgaz ? Aucune hypothèse solidesolide n'existe à l'heure actuelle. Les chercheurs proposent cependant la piste des impacts météoritiques, qui, en faisant fondre les niveaux de glace, auraient pu de manière épisodique faire augmenter le taux d'oxygène dans l'atmosphère de la planète.

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    Les impacts météoritiques auraient-ils libéré de l'oxygène en quantité suffisante dans l'atmosphère primitive de Mars pour permettre l'oxydation du manganèse ? © Giordano Aita, Adobe Stock

    Les oxydes de manganèse étant des minéraux mettant beaucoup de temps à se former, ces résultats suggèrent que le cratère Gale aurait pu abriter un lac pérenne pendant une durée de plusieurs centaines voire milliers d’années. Grâce à ces minéraux, on peut donc penser que les conditions d'habitabilité auraient été favorables pour permettre le développement d'une vie primitive. De plus, les chercheurs soulignent le fait que l'oxydation du manganèse aurait pu bénéficier à de potentielles bactéries, ce type de réaction pouvant servir de source d'énergieénergie.


    L'atmosphère de Mars était riche en oxygène

    Article de Xavier DemeersmanXavier Demeersman, publié le 27 avril 2016

    Sur Mars, Curiosity a détecté avec ChemCam de l'oxyde de manganèse. La formation de ce composé chimique requiert plus d'oxygène que l'oxyde de ferfer qui recouvre la Planète rouge et lui donne son teint caractéristique. Les planétologues estiment donc que l'atmosphère de Mars possédait beaucoup plus d'oxygène dans le passé qu'aujourd'hui.

    Enveloppée d'une atmosphère plus dense, il y a environ 4 milliards d'années, Mars, encore jeune, était un monde plus chaud et humide, aux airsairs de planète bleue. Puis, lentement, son destin a basculé et elle s'est mise à rougir. Un teint devenu emblématique qui, depuis plus de deux millénaires, lui vaut d'être nommée en l'honneur d'anciennes divinités tantôt de la Guerre (Nirgal à Babylone, Arès en Grèce, Mars à Rome), tantôt du FeuFeu (Vahram en Perse), voire du Soleil (Horus en Égypte). D'ailleurs, pour Pline l'ancienPline l'ancien, sa couleurcouleur s'explique par sa proximité avec le Soleil...

    En réalité, on sait aujourd'hui que ce fard déposé progressivement n'est autre que de la rouillerouille, de l'oxyde fer. Mais comme il n'y a plus que des traces résiduelles d'oxygène (0,13 %) dans son atmosphère essentiellement composée de dioxyde de carbone (95 %) et d'une pincée d'argonargon (1,5 %) et de diazote (3 %), le rayonnement ultravioletultraviolet du Soleil qui a cassé les molécules d'eau évaporée, est désigné comme principal responsable de cette oxydation commencée il y a plusieurs milliards d'années. Un long processus qui a accompagné l'érosion de son atmosphère...

    Néanmoins, les scientifiques sont nombreux à penser que les proportions de cet élément devenu très rare étaient plus élevées dans le passé. Comme nous allons le voir, de récentes observations faites par Curiosity semblent leur donner raison.

    Sur Mars, il n’y a pas que le fer qui est oxydé, le manganèse aussi

    Venue présentée, à l'occasion des rencontres de l'Union géophysique européenne qui se déroulaient la semaine dernière à Vienne, trois années d'investigations du laserlaser ChemCam (plus de 300.000 tirs) qui équipe le rover américain débarqué sur Mars, dans le cratère Gale début août 2012, la planétologue Agnès Cousin, de l'Irap (Institut de recherche en astrophysiqueastrophysique et planétologie), à Toulouse, et son équipe, a signalé la découverte d'oxyde de manganèse dans des roches de la région qu'il explore, sur les premiers contrefortscontreforts du mont Sharp.

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    Deux échantillons de roches riches en oxyde de manganèse observé avec la ChemCam de Curiosity. © Nasa, JPL-Caltech

    « Nous avons trouvé que 3 % des roches ont une haute teneur en oxyde de manganèse », a-t-elle déclaré à l'assemblée, comme le rapporte le magazine New Scientist qui a pu assister à sa présentation. « Cela requiert beaucoup d'eau et des conditions fortement oxydantes, donc l'atmosphère pouvait contenir beaucoup plus d'oxygène que nous ne le pensions », a-t-elle ajouté.

    Pour les chercheurs, du fait que ces roches sont dans la région d'un ancien lac, l'eau a sans doute joué un rôle dans cette oxydation. « C'est une possibilité. » Pour l'instant, ils n'ont pas encore pu déterminer l'âge de ces traces, mais ils comptent sur de prochaines occasions pour pouvoir le faire.

    De l'oxygène mauvais pour la vie ou produit par la vie ?

    Précisons que de plus grandes quantités d'oxygène dans l'atmosphère n'est pas vraiment un bon signe pour les organismes vivants (s'il y en avait) si l'on prend l'exemple de la Terre, comme l'a rappelé leur collègue de l'université de Lyon, Damien Loizeau.

    En effet, sur notre planète, tout a commencé sans cet élément chimiqueélément chimique. Produit par les cyanobactériescyanobactéries, il y a environ 2,3 milliards d'années, l'oxygène est donc arrivé bien après les premières formes de vie. Ce fut alors un véritable poison pour les archéesarchées méthanogènes présentes dans les océans et leur disparition catastrophique allait ensuite se répercuter sur le climatclimat et changer encore le visage de la Terre. « O2 est mauvais pour la vie, comme nous le savons, a commenté le chercheur, mais nous ne connaissons aussi que la vie pour être en mesure de créer de grandes quantités d'O2. »